Monoxyde de carbone et cyclisme pro : la frontière trouble entre science, performance… et éthique


Le cyclisme professionnel explore sans relâche les nouvelles frontières de la performance. Et en 2025, un cap surprenant semble avoir été franchi : l’inhaleur de monoxyde de carbone (CO) comme outil d’évaluation… et peut-être d’optimisation de l'entraînement en altitude.

C’est ce que révèle une enquête approfondie de Escape Collective, qui met en lumière des pratiques menées en toute légalité mais entourées d’un flou éthique grandissant.


Des tests en altitude avec du CO : qui, comment, pourquoi ?

Selon les informations recueillies, plusieurs formations majeures telles que UAE Team Emirates, Visma | Lease a Bike et Israel–Premier Tech utilisent un protocole basé sur l’inhalation contrôlée de monoxyde de carbone, au moyen d’un appareil nommé Detalo Performance (coût estimé : 50 000 €).
Objectif ? Évaluer l’impact de l’altitude sur l’hémoglobine et les protéines sanguines, pour mieux ajuster les charges d’entraînement individuelles.

Pour le Dr Adriano Rotunno (médecin chez UAE),

« Ce n’est pas un traitement, mais un outil diagnostique. Il nous permet de mieux comprendre la physiologie du coureur. »

Les tests sont menés au début, au milieu et à la fin des stages en altitude. Les quantités de CO sont « strictement contrôlées », assurent les équipes.
Mais malgré les précautions, la méthode interroge.


Entre optimisation et ligne rouge

Le CO est un gaz potentiellement mortel : il se fixe 200 fois mieux à l’hémoglobine que l’oxygène, empêchant le sang de transporter correctement l’O₂.
Les conséquences ? Du simple malaise à l’empoisonnement grave, voire létal.

Pourtant, une étude scientifique présentée à Florence, à la veille du Grand Départ du Tour 2025, suggère que l’inhalation de CO produit des effets comparables à l’entraînement en altitude en induisant une hypoxie artificielle. Certains chercheurs parlent même de « super-altitude », combinant les deux méthodes.

Mais cela ne convainc pas tout le monde.

Le Pr Carsten Lundby, physiologiste à la Inland Norway University et directeur général de Detalo, s’inquiète :

« L’idée de lier le CO à une amélioration des performances est toxique. Ce n’est pas illégal, mais profondément inquiétant. »

Il poursuit dans une lettre publiée dans le Journal of Applied Physiology :

« Ce n’est pas une méthode à mettre en œuvre. Le sport de haut niveau ne devrait pas fonctionner comme ça. »


Légalité ou contournement ?

Pour l’heure, la technique n’est pas interdite par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA). Mais elle flirte avec ses limites : en 2014, l’AMA a interdit le gaz xénon, utilisé dans un objectif similaire. Et son règlement bannit tout procédé visant à « améliorer artificiellement le transport ou l’absorption de l’oxygène ».

Le flou réside ici : si l’inhalation de CO reste diagnostique, elle est légale. Mais quand commence l’usage à visée ergogénique ?

Selon Lundby :

« Le passage de l’évaluation à la stimulation est très mince. Il faut une conscience éthique collective. »


Une course vers l’invisible ?

Dans un peloton déjà habitué aux tentes d’altitude, aux simulateurs hypoxiques et aux capteurs sous-cutanés, l’arrivée du monoxyde de carbone marque une nouvelle étape… ou une nouvelle dérive ?

La quête de la performance ne peut-elle se faire qu’au détriment du bon sens et de la santé ?
Ou s'agit-il simplement d'une nouvelle facette de la science appliquée à l'effort humain ?

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