Le cyclisme entretient une relation longue et complexe avec le poids. Dans un sport où chaque watt compte et où les ascensions font souvent la différence, le rapport puissance/poids est une mesure inévitable. Dans la lutte contre la gravité, chaque kilogramme en trop exige des watts précieux. À l’instar du matériel utilisé, les coureurs cherchent à optimiser leur corps en fonction du terrain. Au fil des décennies, cette obsession a poussé nombre d’athlètes, hommes et femmes, vers des troubles du comportement alimentaire. Le cyclisme continue de peiner à trouver la limite entre santé et performance optimale.
Heureusement, les mentalités évoluent. Les meilleurs cyclistes actuels s’alimentent de manière plus intelligente, s’entraînent de façon plus globale et accordent davantage de valeur à leur bien-être physique et mental. Mais le sport de haut niveau est rarement synonyme de santé, et il est difficile d’échapper au regard porté sur les corps. Et lorsqu’il s’agit de savoir qui subit le plus de pression, l’inégalité est encore criante, comme l’a tristement rappelé cette dernière semaine en France.
Une légende sous pression
Pauline Ferrand-Prévot est l’une des plus grandes athlètes de l’histoire du cyclisme. À 33 ans, la Française cumule 12 titres mondiaux UCI élite (15 en comptant les titres par équipes) répartis entre route, cyclo-cross, gravel et VTT. Elle est aussi la championne olympique en titre de VTT cross-country. Et depuis dimanche, elle est également la vainqueure du Tour de France Femmes avec Zwift.
Mais une grande partie des discussions autour de cette semaine de course ne portait pas sur sa performance… mais sur son poids.
Une préparation ciblée pour un objectif clair
Après une campagne printanière couronnée par sa victoire à Paris-Roubaix, Ferrand-Prévot s’est retirée de la compétition pour préparer le Tour de France Femmes.
Cette course avait pour elle une signification particulière. Petite fille, elle rêvait de courir le Tour, mais à l’époque, la version féminine n’existait pas. Ce n’est qu’en 2022, trois ans après qu’elle ait quitté la route, que la course a été relancée. Après avoir tout gagné en VTT, elle est revenue avec un objectif : remporter le Tour de France Femmes en 2 à 3 ans. L’édition 2025 devait être une répétition générale… mais elle s’y est préparée comme s’il s’agissait de sa seule chance.
Avec son équipe Visma – Lease a Bike, elle a eu recours à tous les moyens disponibles : stages en altitude, nutrition millimétrée, conseils de coachs, de nutritionnistes, analyses en laboratoire… Elle a même acheté un logement en Andorre pour s’entraîner plus efficacement en montagne.
Objectif : être prête pour les longues ascensions, en particulier celle du Col de la Madeleine. Cela impliquait aussi de perdre du poids. Quatre kilos, exactement.
« Je savais que je devrais grimper pendant 1h30 sur la Madeleine, j’ai voulu mettre toutes les chances de mon côté », a-t-elle expliqué.
« Il faut s’adapter au terrain. »
Elle a aussi précisé qu’elle avait conservé plus de masse au printemps, car elle avait besoin de puissance sur le plat.
Une transformation stratégique... et controversée
Le 26 juillet, lorsqu’elle est réapparue dans le peloton pour le départ du Tour, elle semblait plus fine que jamais. Les réactions ne se sont pas fait attendre : fans, médias, observateurs… beaucoup ont focalisé leur attention sur son apparence.
Face aux questions, Ferrand-Prévot a répondu avec honnêteté :
« Mon travail, c’est d’être la meilleure possible. On sait que c’est un sport d’endurance, et pour grimper, il faut avoir un bon rapport watts/kilo. C’était mon choix. J’ai travaillé dur pour ça. »
Elle a également insisté sur le caractère temporaire de cette condition physique :
« Je ne veux pas rester comme ça. On avait un bon plan avec le nutritionniste de l’équipe, tout était contrôlé. Je n’ai rien fait d’extrême. Et j’avais encore de l’énergie après neuf jours de course. »
Deux poids, deux mesures ?
Que cette stratégie soit admirable ou non peut se discuter. Mais elle n’a rien d’inhabituel. Jonas Vingegaard, par exemple, suit les mêmes protocoles, entre stages en altitude et programmes de perte de poids surveillée. Tadej Pogačar parle lui aussi ouvertement de la gestion de son poids à l’intersaison.
Pourtant, aucun de ces hommes n’a subi la moitié des critiques publiques adressées à Ferrand-Prévot.
Son amaigrissement a été exposé dans les journaux, débattu à la télévision, commenté sur les réseaux :
« Trop maigre. »
« Ce n’est pas sain. »
« Un mauvais exemple pour les jeunes filles. »
Certain·es l’ont même accusée de promouvoir les troubles alimentaires, alors que son approche était encadrée médicalement.
Une critique genrée
Oui, le corps des cyclistes masculins est aussi examiné, mais moins souvent, et de manière différente. Pour les hommes, la quête de performance est perçue comme stratégique. Pour les femmes, elle devient un sujet moral ou un risque à pointer du doigt.
Alors, qu’a fait Ferrand-Prévot de si différent ? Elle l’a fait en tant que femme. C’est là tout le problème.
Le vrai sujet : sa victoire historique
Bien sûr, le bien-être des athlètes doit rester une priorité. Et il est essentiel de rappeler que ce type de stratégie n’est ni nécessaire ni souhaitable pour le grand public. Mais c’est précisément pour cela que sa transparence devrait être saluée, pas condamnée.
Cette semaine, le monde aurait dû parler de sa montée tactique sur la Madeleine, de son attaque en solitaire vers Châtel, de son immense victoire.
Ne réduisons pas ce moment d’histoire à une question de poids.
Et si nous devons interroger Pauline Ferrand-Prévot, alors interrogeons tous les hommes grimpeurs de la même manière.
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